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Face à la récente décision des États-Unis de relever les droits de douane sur plusieurs produits en provenance de près de 70 pays dont une vingtaine en Afrique des responsables et experts africains tirent la sonnette d’alarme. Ils dénoncent une politique commerciale jugée imprévisible qui fragilise le développement économique du continent et appellent à une réponse stratégique, collective et coordonnée.

Le président américain Donald Trump a signé un décret modifiant à la hausse les taux de droits de douane. Parmi les pays touchés, l’Angola, le Nigeria, le Lesotho et la Côte d’Ivoire voient leurs tarifs portés à 15 %, tandis que la Libye et l’Afrique du Sud sont désormais soumises à un taux de 30 %.

Cette mesure crée une onde de choc dans plusieurs économies africaines. Au Lesotho, l’industrie textile pilier de l’économie nationale est particulièrement touchée. Dans la zone industrielle de Maseru, capitale du pays, de nombreux ouvriers se retrouvent sans emploi, les commandes ayant été brutalement annulées.

« Cette mesure a porté un coup dur à notre industrie textile », a déclaré Mokhethi Shelile, ministre du Commerce et de l’Industrie du Lesotho. Avec 11 usines orientées vers le marché américain, ce pays enclavé était jusque-là le premier exportateur africain de vêtements vers les États-Unis. Environ 13 000 emplois seraient aujourd’hui menacés.

À Madagascar, c’est l’industrie de la vanille qui subit les conséquences. Ce secteur, qui représente un quart des recettes d’exportation du pays, dépend largement du marché américain. Selon Noé Réné Solo, directeur régional de l’agriculture dans la zone d’Atsinanana, une chute des prix induite par une surtaxe pourrait décourager les producteurs et entraîner l’abandon de nombreuses plantations.

Face à ces menaces, de nombreuses voix appellent à accélérer l’intégration économique du continent. Pour Humphrey Moshi, directeur du Centre d’études chinoises à l’université de Dar es-Salaam, les exportations intra-africaines, notamment de matériaux de construction et de produits agricoles, permettent déjà à certains pays de mieux amortir les chocs extérieurs.

La Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAf), en vigueur depuis 2021, est perçue comme un outil stratégique majeur. Elle vise à éliminer les barrières tarifaires entre pays africains, à stimuler les investissements, à créer des chaînes de valeur régionales et à renforcer l’autonomie commerciale du continent.

Pour Balew Demissie, chercheur à l’Institut éthiopien d’études politiques, l’essor du commerce régional pourrait favoriser la diversification industrielle et offrir une protection contre les aléas du commerce mondial.

Carlos Lopes, ancien secrétaire exécutif de la Commission économique de l’ONU pour l’Afrique, plaide pour un changement de paradigme : « L’Afrique ne doit plus considérer son intégration dans les chaînes de valeur mondiales comme une finalité, mais plutôt renforcer ses capacités internes, investir dans ses infrastructures et accroître ses économies d’échelle. »

L’Éthiopie, premier producteur de café en Afrique et cinquième mondial pour l’arabica, redouble d’efforts pour diversifier ses partenaires commerciaux. Avec une taxe américaine de 10 % désormais appliquée à son café, les autorités estiment que les pertes pourraient atteindre 35 % des revenus d’exportation.

Shafi Umer, directeur général adjoint de l’Autorité éthiopienne du café et du thé (ECTA), affirme que le pays explore de nouveaux débouchés en Asie, en Europe et au Moyen-Orient. Objectif : porter le nombre de destinations d’exportation à 20 d’ici la fin de l’année fiscale.

L’Afrique du Sud, elle aussi, accélère sa réorientation vers l’Asie, l’Europe, l’Amérique latine et le Moyen-Orient.

Dans ce contexte, le partenariat sino-africain s’affirme comme une alternative. La décision de la Chine d’accorder un traitement douanier préférentiel sur 100 % des lignes tarifaires aux 53 pays africains avec lesquels elle entretient des relations diplomatiques est perçue comme un appui concret.

Pour Emmanuel Yinkfu, commerçant à Douala, cette mesure est un signal fort. « Elle marque une volonté de partenariat stratégique et durable entre la Chine et l’Afrique », se réjouit-il. Joseph Tegbe, du Partenariat stratégique Nigeria-Chine, y voit une opportunité majeure pour son pays, notamment dans les secteurs de l’agriculture, de l’industrie manufacturière et du commerce numérique.

Les experts s’accordent à dire que cette initiative doit inciter les pays africains à mieux diversifier leurs marchés et à renforcer leur souveraineté économique.

Comme le résume Leslie Dwight Mensah, économiste à l’Institut ghanéen d’études fiscales : « L’Afrique doit transformer cette crise en levier pour repenser son avenir commercial et sortir durablement de sa dépendance aux grandes puissances.

Pierra S.

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