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Abidjan – À quelques mois du scrutin présidentiel prévu pour octobre, la Côte d’Ivoire fait face à un fléau redouté en période électorale : la prolifération des fausses informations. Alimentées par les réseaux sociaux et amplifiées par des tensions politiques et régionales, les fakes news menacent la crédibilité du processus électoral.

La publication de la liste électorale provisoire, le 17 mars 2025, a marqué un tournant. Elle a déclenché une avalanche de publications accusant la Commission électorale indépendante (CEI) de manipulations. Plusieurs internautes ont affirmé avoir vu leurs noms inscrits sur les listes alors qu’ils ne se sont « jamais enregistrés » ou n’ont « jamais voté » en Côte d’Ivoire.

Une riposte numérique de la CEI

Face à cette polémique virale, la CEI n’a pas tardé à réagir. Elle a mis en place une page spéciale de fact-checking sur Facebook, fournissant preuves à l’appui les informations exactes : lieu d’enrôlement, pièce d’identité utilisée, photo biométrique… Cette réponse méthodique a permis de désamorcer la controverse et de protéger l’intégrité du processus électoral.

Un terrain fertile pour les infox

Pour Mohamed Kébé, journaliste et vérificateur de faits, le contexte électoral agit comme un catalyseur. « On sent une montée fulgurante des fausses informations à l’approche de la présidentielle », observe-t-il. Parmi les rumeurs les plus marquantes : l’arrivée de 700 soldats français pour sécuriser le scrutin, ou encore la présence supposée de légionnaires formant l’armée ivoirienne pour attaquer le Burkina Faso.

Les tensions diplomatiques régionales entre la Côte d’Ivoire et des pays membres de l’Alliance des États du Sahel (Mali, Burkina Faso, Niger) sont également mises à profit par les propagateurs de fausses informations.

Une dynamique bien connue en Afrique francophone

Assane Diagne, rédacteur en chef de The Conversation et ancien directeur d’Africa Check, souligne que ce phénomène n’a rien d’exceptionnel : « Lors de chaque élection, les fake news deviennent un outil de propagande politique ». Il cite les cas du Sénégal en 2012, 2019 et 2024, où des rumeurs, exagérations et falsifications ont rythmé les campagnes électorales.

L’IA, outil de désinformation… et de vigilance

Dans ce contexte tendu, l’intelligence artificielle (IA) s’impose comme une arme à double tranchant. Si elle permet de créer des contenus trompeurs ultraréalistes, comme les deepfakes audio ou vidéo, elle facilite aussi une vérification plus rapide et automatisée des informations.

Oumar Watt, expert sénégalais en transformation numérique, alerte : « Ces technologies représentent une menace directe pour la confiance dans l’information, surtout pendant les élections ». Il appelle à une réglementation équilibrée, capable de sanctionner la désinformation sans nuire à la liberté d’expression.

Vers une réponse institutionnelle coordonnée

Le ministère ivoirien de la Communication affirme avoir révisé son arsenal juridique pour faire face à la menace. « Tout ce qui n’est pas permis dans le réel ne l’est pas dans le virtuel », rappelle le ministre Amadou Coulibaly, qui annonce un renforcement des peines contre les auteurs de fake news. Il met en avant la création de la plateforme “Alerte Sans” par l’Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information (ANSSI), chargée de détecter et neutraliser rapidement les infox.

En parallèle, la plateforme contre la cybercriminalité offre désormais aux victimes d’infox ou de harcèlement en ligne une possibilité de dépôt de plainte.

Presse, plateformes, citoyens : tous impliqués

La riposte doit aussi venir des organes de presse, selon Assane Diagne. « Il est indispensable de renforcer les cellules de fact-checking au sein des rédactions », insiste-t-il.

En Côte d’Ivoire, le Réseau des professionnels de la presse en ligne a mis en place une cellule de veille numérique. De plus, une plateforme dédiée baptisée “Ivoir-Check” est chargée d’identifier et de démanteler les fausses informations en circulation.

Réguler sans censurer

Les États africains sont invités à encadrer les réseaux sociaux sans tomber dans la censure. Pour cela, Oumar Watt recommande une régulation des algorithmes des grandes plateformes, l’imposition de mesures de transparence et des sanctions en cas de manquements.

Il en appelle aussi à une éducation aux médias dès le plus jeune âge, un point sur lequel Assane Diagne abonde : « Il faut apprendre à reconnaître les stratégies de manipulation, former les citoyens dans les écoles, les mosquées, les marchés ».

Une bataille mondiale

En toile de fond, les experts appellent à une mobilisation mondiale, impliquant les géants du numérique, pour mieux faire ressortir les informations vérifiées et limiter la propagation des fake news en période électorale. Sans cela, les démocraties africaines risquent de continuer à avancer sur un terrain miné.

Pierra S.

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